L'Internet Français doit être une zone de confiance
Bonjour Isabel, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Avant d’avoir la casquette Fondation AFNIC, celà fait trente ans que je suis salariée de l’AFNIC. J’en connais donc le fonctionnement de l’intérieur.
Pour faire simple, il s’agit d’un fond d’enregistrement qui gère le domaine .fr.
Au départ, en 1993, il existait une entité intitulée Network Information Center (NIC), qui, en lien avec le monde de la recherche, gérait le domaine français d’Internet. Mais en 1999, l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) demande que le NIC sorte de son giron pour être géré de manière spécifique, et c’est ainsi que l’année suivante, l’AFNIC (Association Française pour le Nommage en Coopération) est créée.
Elle met aussitôt en place une charte de nommage, qui entretemps avait été validée par la loi, puis une dizaine d’années plus tard remporte le premier appel d’offre public pour gérer le .fr. Beaucoup d’autres suivront. C’est à l’occasion de cette première candidature que l’AFNIC imagine la création d’un fond de solidarité Internet, financé sur les ressources du .fr. La Fondation AFNIC voit ainsi le jour en 2015, sous l’égide de la Fondation de France.
J’étais alors salariée de l’AFNIC depuis 22 ans, et je me suis portée candidate à l’animation de cette nouvelle entité. C’est ainsi que depuis 2015, je suis salariée AFNIC en charge de la fondation, qui est financée à 100% par l’AFNIC, puisque cette dernière lui reverse 90% des bénéfices du .fr.
Et c’est un minimum, puisque lors du dernier appel à candidatures auquel l’AFNIC a répondu auprès de l’Etat, la dotation aux actions d’intérêt général est passée à 11% du chiffre d’affaire, ce qui représente un minimum garanti de 1,3 millions d’euros par an.
Initialement, cet argent est dédié au financement de projets numériques destinés à venir en aide à des personnes vulnérables pour toutes sortes de raisons, qu’elles soient éloignées du numérique, ou tout simplement difficiles à toucher, comme les jeunes ou les seniors. Il y a aussi des personnes concernées pour des raisons de culture, de handicap, de santé, de violences ou de genre. Le but de la Fondation est d’améliorer le quotidien de ces personnes, et c’est ce qu’on a fait pendant les trois premières années : de l’inclusion pure.
Mais le développement du secteur numérique nous a conduits progressivement à élargir le périmètre de nos actions, pour lutter aussi contre les risques sur Internet et en donner les clefs aux personnes, le plus largement possible. Celà nous a conduits à soutenir par exemple des repair cafés, au nom de l’écologie, du réemploi et de la réparabilité, ou encore à accompagner le développement du logiciel libre auprès des usagers. La fondation AFNIC agit là où les autres ne vont pas.
Quel est votre regard sur les risques et la confiance numérique ?
À l’époque où je m’occupais des services de l’AFNIC, notamment du service juridique, j’ai eu la sensation qu’on allait un peu à contre-courant. On nous reprochait de faire des contrôles réguliers sur les noms de domaines, pour savoir qui se cache derrière et éviter les usurpations d’identité, car, nous disait-on, celà freinait les entreprises.
Il faut ici rappeler que pendant longtemps Internet était vu comme une zone de liberté sans limite. C’était libre, rapide, sans aucune vérification en amont : les gens mettaient le nom de domaine qu’ils voulaient, et en cas de contestation, les acteurs se débrouillaient en justice.
Et nous en France, dans le contexte de la création du nom de domaine .fr, on vérifiait qui demandait quoi, on demandait des justificatifs officiels, et du coup le nom de domaine était plus long à enregistrer, d’autant que parfois, on refusait des dossiers.
Alors pour rééquilibrer, on a décidé d’ouvrir la charte de nommage et de se contenter de contrôles a posteriori, tout en mettant en place des procédures de gestion de litiges. Notre volonté, techniquement, était de disposer de bases de données fiables pour ce contrôle a posteriori, de façon à apporter une confiance aux usagers des sites. Il s’agissait bien de faire du .fr un domaine de confiance. J’ai d’ailleurs accepté récemment une nouvelle casquette de médiatrice au sein de l’association, dans le cadre d’une procédure gratuite destinée à tenter de régler à l’amiable les conflits les plus simples.
Que s’est-il passé pour que la fondation AFNIC se mette elle-aussi à gérer les risques liés au numérique ?
AFNIC a toujours eu la culture de l’accompagnement, et la volonté de fournir des ressources parce que l’Internet français doit être une zone de confiance.
Or la rapidité du numérique est parfois perçue comme négative, parce que les choses nous échappent, et parfois comme positive, car elle nous ouvre à beaucoup de choses. Il existe donc un Internet positif. Si la Fondation a pour vocation d’aider les gens, elle cherche aussi à porter le message d’un Internet qui ne soit pas un élément négatif.
Aux débuts d’Internet, il y avait cet esprit d’utopie et de liberté, une immédiateté fascinante. On ne voyait pas les aspects négatifs. Mais dans les années 2010, avec l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux, on a connu une sorte de panique morale. Tout le monde s’est emparé du sujet et il y a eu un effet de balancier tant les mauvaises pratiques ont prospéré. On a eu l’impression de basculer un peu de l’utopie à la dystopie, de passer de trop de confiance à trop de méfiance.
Dans ce contexte, apprendre à utiliser le numérique en se protégeant est devenu un enjeu. Ne pas partager ses données personnelles, ça s’apprend. Et cette tendance n’a cessé depuis de se renforcer. On parle aujourd’hui de numérique éthique, durable, responsable, ce qui montre qu’on se rend compte que les choses sont allées trop loin.
Mais il reste encore beaucoup de causes qui méritent le soutien de la Fondation. Le numérique démocratique par exemple, qui est devenu un enjeu ces dernières années. Et aussi des sujets techniques, car si on veut changer le numérique, les choses se passent au-dessus de nous, du côté des industriels et des grandes politiques publiques. Par exemple la question des lois et des législations, pour sécuriser les hébergeurs de plate-formes, c’est encore largement une boite noire, on n’en connaît pas grand chose.
Nous devrions mettre en cohérence nos propos et nos actes : le choix d’Amazon pour héberger le cloud de confiance européen ou l’attrait de nombreux élus locaux pour les entrepôts amazon témoignent de l’importance d'être présents sur ces sujets.
Avec la Fondation, AFNIC a choisi la responsabilité de faire émerger une communauté de confiance en remettant l’argent du .fr sur le terrain français, au service des gens et des communautés.