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À quelles conditions le numérique est bon pour nous ? Diagnostic

Édito par Jacques-François Marchandise, chercheur et prospectiviste indépendant, co-fondateur de la FING

Les territoires, leurs acteurs, leurs habitants sont aujourd'hui à un moment particulier de leur relation au numérique. Désormais massifié, il produit des effets visibles dans de nombreux domaines, il contribue à changer la ville et la campagne, le travail et la vie privée.

Des milliers de propositions se présentent à chacun de nous en libre service, sans cohérence évidente, au point que la description de "l'impact du numérique sur..." l'économie, la démocratie, les inégalités, l'environnement, l'agriculture, pourrait faire croire à un phénomène imprévu et brutal venu d'une autre planète. Il n'est pas évident que l'on puisse nommer cette évolution de plusieurs décennies "la transition numérique".

En fait, chaque dispositif numérique est le produit d'une histoire non-numérique et de choix technologiques, de modèles économiques, d'intentions politiques : googlemaps n'est pas openstreetmap, leboncoin n'est pas amazon, service-public.fr n'est pas commentçamarche. Derrière ces choix, il y a des acteurs politiques, économiques et sociaux connus. En perspective, il y a d'importantes transformations du monde dans lequel nous vivons.

Les questions numériques débordent largement du cadre de la technique, pourtant les habitants, citoyens, usagers ne sont pas souvent à bord de ces choix qui nous concernent tous. C'est la raison pour laquelle ce premier numéro de Médiation(s) nous propose de nous poser la question d'un numérique qui serait "bon pour nous".

Personne ne peut instruire cette question à lui tout seul : il y a besoin de s'en parler, d'avoir des cadres collectifs, des médiations, des expertises qui nous permettent de comprendre le numérique d'aujourd'hui, de comprendre aussi pourquoi il est sur la sellette, et d'envisager celui de demain.

Le numérique que nous pouvons observer, ce sont des chiffres qui augmentent : des réseaux plus rapides et une couverture du territoire qui progresse (ouf), des machines plus performantes, davantage d'information en ligne, d'échanges sur les réseaux sociaux, d'achats de biens et services, de démarches dématérialisées, d'objets connectés, d'applications disponibles sur smartphone, de temps passé devant les écrans, d'équipements dans les écoles, les hôpitaux, les transports.

Les chiffres répondent à une angoisse bien légitime des dernières décennies, celle d'être hors du coup, de se faire distancer dans la marche du progrès. Les Etats, les territoires, les entreprises, les associations, et aussi les particuliers investissent, se forment, se transforment, s'adaptent autant qu'ils peuvent au monde numérique, qui est presque synonyme de "monde de demain", tout en sachant qu'il y a d'autres étapes de cette route infinie, l'intelligence artificielle, la cybersécurité, etc.

Ces chiffres montrent aussi une adhésion, des dynamiques sociales et entrepreneuriales, des ambitions publiques, des aspirations individuelles et collectives. Nous en sommes là,  nous sommes certains qu'il y a de plus en plus de numérique, que nous sommes dans un monde traversé par le numérique.

Mais le progrès n'est pas aussi linéaire que prévu : le numérique est sur la sellette, à cause notamment de ce "toujours plus", sur une planète aux ressources limitées (enjeux environnementaux), dans des temporalités finies (enjeux de captation de l'attention), sur fond d'inégalités sociales (toujours plus pour certains mais pas pour d'autres), et avec les difficultés liées à la surabondance d'informations (infobésité) et d'innovations successives (désarroi et déprise).

Les efforts en matière de médiation numérique, d'attention aux usages, à la formation, à l'accompagnement n'ont jamais été aussi importants qu'aujourd'hui. On le doit en partie aux alertes qui ont accompagné la dématérialisation généralisée des services publics, en partie aux prises de conscience de la crise Covid : le numérique n'est vraiment plus un sujet à part. Être en difficulté avec lui c'est être en difficulté avec tout. Nous sommes dans un monde traversé par le numérique. Dans beaucoup de domaines, parler d'avenir c'est parler numérique, ce qui peut paraître franchement abusif : notre avenir ne peut pas se résumer à l'adaptation à un numérique subi, et la médiation ne peut pas se réduire à la réparation des dégâts et difficultés qu'il crée.

Il est temps d'aller du plus vers le mieux, du subi vers le choisi, du binaire vers le complexe. Des acteurs de l'éducation populaire et de la médiation contribuent à renforcer nos capacités à comprendre et notre pouvoir d'agir. Des ONG de la société civile se créent ou se développent pour s'opposer à ce qui ne va pas ou proposer des alternatives. Des acteurs publics locaux ou continentaux affirment des principes d'action en matière de libertés, d'écologie, de communs. Des acteurs du numérique, employés ou entrepreneurs, élaborent des pistes plus frugales et plus inclusives.

Médiation(s), porté par une région pionnière en matière d'indicateurs de développement humain, peut contribuer à porter la vision d'un développement numérique humain et à décrire les contours d'un territoire capacitant outillé par le numérique.