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Grandir avec le numérique : une nouveauté qui bouscule

La jeunesse est un âge marqué par le désir d’explorer et de défricher de nouveaux usages où, comme le rappelle la sociologue Anne Cordier,  “Les jeunes sont toujours ceux qui s’emparent en premier des phénomènes nouveaux, que ça soit au niveau de la mode, de la musique ou des manières de se connecter sur le Web. Donc oui, leurs usages s’adaptent sans cesse aux évolutions du Web¹

Mais voilà, en 2020, l’âge moyen auquel les enfants français reçoivent leur premier smartphone est de 9 ans et demi. C’est donc à cet âge, en moyenne, que nos rejetons passent de pratiques numériques supervisées (en classe ou sur la console, l’ordinateur ou la tablette familiale) à des pratiques autonomes, qui laissent peu de place au contrôle parental et sur lesquelles les adultes n’ont pas prise. 

D’où parfois des inquiétudes, des préjugés et des craintes du côté des adultes.

Axelle Desaint pilote en France le programme européen Internet sans crainte (safer internet), porté par l’association Tralalère, qui propose des ressources gratuites pour les professionnels et les parents sur l’éducation au numérique des jeunes : “il y a beaucoup de crispation sécuritaire en France, avec des thèmes comme la géolocalisation ou le contrôle parental [...] on assiste à un discours où il y a beaucoup d’injonctions et d’interdits et peu de perspectives claires. Les parents ont besoin de repères parce qu’ils sont perdus sur ces sujets sur lesquels leur propre comportement n’est pas exemplaire. Ils sont donc dans une mauvaise posture et cherchent des repères.

Créée à Roubaix en 2010, l’association ARRE regroupe des personnes physiques et morales qui accompagnent les jeunes et leurs familles sur toutes les questions touchant à la parentalité. Avant la crise sanitaire de 2020, l’association ne proposait pas d’action spécifique sur le numérique, reconnaît Marine Lemoine, sa directrice adjointe, mais avec le confinement et le défi de la continuité pédagogique, l’association a été sollicitée pour proposer des ressources aux familles sur cette thématique. “Sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille, précise Anthony Godin,chargé de projet éducatif à l’association, peu d’acteurs font à la fois de la parentalité et du  numérique éducatif”. En s’emparant de ces sujets, l’ARRE a tout de suite choisi de ne pas diaboliser les écrans mais d’outiller les familles. “Nous avons mis en place une approche qui se veut la plus globale possible, auprès des jeunes, des professionnels qui les accompagnent, des parents, avec l’idée de faire vivre des choses que les jeunes et leurs parents pourront continuer à tester dans d’autres espaces. On est très loin d’une solution clef en main.

Un atelier réalisé au POP café Wazemmes, tiers-lieu lillois, sur le numérique pour les enfants.

Le regard porté sur les pratiques numériques des jeunes est ainsi empoisonné par des représentations pas toujours en lien avec les pratiques et compétences réelles des jeunes. C’est par exemple le cas de l’expression “digital natives” qui suppose que les jeunes sont tombés dans le numérique à la naissance comme Obélix dans la potion magique, renvoyant les plus âgés à une ignorance préhistorique. “Ce discours délétère n’a pas permis aux parents de prendre leur place aux côtés des jeunes” affirme Axelle Desaint, et il en va parfois de même pour les enseignants. 

Un discours encore présent à propos des jeux vidéo, avec l’idée reçue qu’ils inciteraient à la violence.

Le ludique et le “jouer ensemble” : des leviers pour un dialogue intergénérationnel

Pour Marine Lemoine, il est difficile de mobiliser les familles sur les sujets numériques à cause de tout cet environnement, et il peut être utile, justement, de faire un détour par le ludique et de “jouer ensemble” pour en faire un levier de dialogue intergénérationnel. Elle cite, à titre d’exemple, une initiative portée par les Centres sociaux connectés en Hauts de France, qui engage des dynamiques permettant de travailler sur les compétences psycho-sociales en s’appuyant sur le E-sport et le rétro gaming.

En toile de fond, se pose la question d’une culture numérique commune, qui permettrait d’identifier de façon pertinente les enjeux réels qui sous tendent ces situations souvent fantasmées. Car grandir avec le numérique c’est aussi prendre conscience des enjeux de la société numérique. Axelle Desaint rappelle justement qu’on ne peut pas “tout mettre sur le dos des comportements individuels, il y a une responsabilité des éditeurs de plateformes, avec l’économie de l’attention, l’exploitation des données privées. Il est temps que chacun prenne ses responsabilités”, et d’ajouter qu’heureusement “ça bouge depuis un an au niveau de l’Etat. Des lois ont été adoptées en première lecture qui visent à poser un cadre et à imposer aux plateformes de protéger les mineurs. Les réseaux sociaux sont interdits avant 13 ans et une autorisation parentale est obligatoire avant 15 ans, mais cette mesure n’est jamais appliquée. La nouvelle loi adoptée au Sénat impose aux plateformes de respecter cette obligation d’âge”.

La France, très observée en Europe, est ainsi aux avant-postes en matière législative et réglementaire. Il reste malheureusement encore bien trop de place pour des discours centrés sur la question du danger des écrans, qui font eux-mêmes écran à toutes les stratégies constructives qu’il reste possible de mettre en place pour grandir ensemble avec le numérique.

¹ 16 mai 2023, S’informer sur les réseaux : « Les jeunes ne sont pas des crétins digitaux », Interview dans la revue l’ADN

Pour aller plus loin

Internet sans crainte est le programme national de sensibilisation des jeunes au numérique de la Commission européenne, et propose une centaine de ressources accompagnées d’une fiche pédagogique pour les adultes et professionnels . 

Le programme FamiNum invite à créer sa charte de bonnes pratiques numériques en famille. Chaque bonne pratique est personnalisable et accompagnée d'explications et d’astuces pour les mettre en place.
On distingue par âge des enfants puis on édite sa charte pour l’afficher. Il y a aussi des guides pour animer des ateliers parents-enfants autour de cet outil et des vidéos FamiNum.

Info-hunter (en atelier, en classe) est un site pour apprendre à décrypter les infos en ligne. Ce sont les jeunes qui font eux-mêmes les recherches et c’est le groupe qui identifie les messages clés, avec un guide (parcours de décryptage de l’information). L’important est de ne pas être passif et d’être acteur de ces sujets pour aller vers des usages plus contributifs, plus collaboratifs, plus créatifs.